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Diversité sociale dans les Écoles normales supérieures

le 14 octobre 2019

Par courrier en date du 13 juin 2019, madame Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a confié à chacun des directeurs et présidents des quatre écoles normales supérieures de lui faire des « propositions de nature à permettre d’augmenter, de manière significative et selon un calendrier ambitieux, la proportion d’étudiants issus des milieux les moins favorisés » au sein de l’ENS qu’il dirige. Comme le suggérait la lettre de mission et conscients des enjeux partagés entre les quatre ENS, le présent document est élaboré conjointement par Marc Mézard, Pascal Mognol, Jean-François Pinton et Pierre-Paul Zalio. Il est le fruit des réflexions engagées au sein de chacune des écoles, avec les autres dirigeants des grandes écoles qui ont reçu des missions similaires (Ecole Polytechnique, HEC, ESSEC, ESCP Europe), ainsi que de nombreux échanges avec d’autres acteurs de l’enseignement supérieur et du milieu associatif.

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Ce document énonce tout d’abord un cadre commun d’analyse et de propositions. La situation de chacune des ENS étant spécifique, des rapports dédiés explicitent, école par école, la situation présente ainsi que la forme concrète que pourraient prendre les actions déclinées au sein de chaque école.


CADRE D’ANALYSE ET DE PROPOSITIONS

La place et le rôle des écoles normales supérieures dans l’enseignement supérieur et la recherche

Avec leur offre de formation de haut niveau vers et par la recherche, les écoles normales supérieures constituent une pépinière de chercheurs et professeurs du supérieur : entre 65 et 85 % des débouchés sont dans ce domaine, très majoritairement dans le secteur public. La qualité de la sélection et de la préparation à ces carrières peut se mesurer par divers indicateurs : la place des normaliens parmi les prix Nobel et médailles Fields, parmi les lauréats de l’ERC, à l’Académie des Sciences, ou dans les facultés des grandes universités de recherche en attestent. Les ENS irriguent aussi la haute fonction publique et les entreprises en cadres ayant une très forte expertise scientifique, où leur formation par la recherche, leur capacité de prise de recul et leur force de proposition sont appréciées. Cet objectif est atteint par la construction d’une scolarité normalienne, qui dure typiquement trois ou quatre ans, complétée pour la plupart des normaliens par une thèse. Plus de 80 % des normaliens poursuivent en effet en doctorat, ce qui caractérise bien la spécificité des ENS parmi les grandes écoles françaises. Ce rôle essentiel des ENS concernant la formation des chercheurs de haut niveau est d’autant plus important dans le contexte actuel : avec une tendance au déclassement des métiers de la recherche et des emplois académiques en France, particulièrement sensible depuis deux décennies, le risque est réel de voir une bonne partie des bacheliers les plus brillants, quel que soit leur milieu d’origine, se désintéresser des carrières académiques et de la recherche. En proposant un parcours vers la recherche et par la recherche, attractif, à des étudiants jeunes, les ENS sont un des rares antidotes ce phénomène.

Couronnement des filières de formation initiale en France, les concours d’entrée aux ENS, qui ont toujours été strictement égalitaires, sont extrêmement sélectifs. N’y réussissent que des étudiants dont les parcours scolaires ont permis une formation en amont de très haut niveau, et une très bonne préparation aux concours. Il est de fait que la proportion d’étudiants issus de milieux défavorisés y est inférieure à ce que l’on pourrait attendre de grandes écoles de la République à laquelle chacune et chacun devrait avoir les mêmes chances et moyens d’accéder, indépendamment de son milieu d’origine, même si cette assertion doit être soigneusement modulée suivant les ENS (cf les données relatives à chaque école).

Propositions

Les ENS n’ont pas attendu cette mission pour se saisir de la question de la diversité sociale, et les sections suivantes expliciteront ce qui a déjà pu être mis en place. Mais cette mission a fourni l’occasion d’une réflexion commune pour aller beaucoup plus loin dans une démarche permettant d’augmenter la diversité sociale de leurs étudiants, sans transiger sur l’exigence du niveau des entrants.

Amener plus d’étudiants issus de milieux défavorisés au meilleur niveau de la recherche internationale et au sommet des carrières universitaires : c’est un défi de taille que les écoles normales supérieures sont prêtes à relever, tout en ayant conscience qu’il ne pourra être mené à bien qu’avec un travail important en amont, mobilisant de nombreux acteurs, bien au-delà de nos seules écoles. Le cadre général de nos propositions, qui seront déclinées par la suite plus spécifiquement école par école, s’articule autour de trois grands niveaux d’action :

1. Actions en amont
Repérer dès le lycée, voire même le collège des jeunes ayant le potentiel pour poursuivre des études à même de les amener à candidater dans les très grandes écoles. Mettre en place un système d’accompagnement, avec à la fois un système de bourses spécifiques sur critères sociaux pour encourager à l’entrée en CPGE ou en licence, mais également des dispositifs de mentorat ou de tutorat. Le repérage pourrait s’appuyer sur le réseau des normaliens qui enseignent en lycée, sur les dispositifs de type Cordées de la réussite, sur des clubs et associations (par exemple les clubs de mathématiques dans les collèges ou les lycées) ou sur des concours/jeux de type Olympiades, que les ENS pourraient organiser ou parrainer, avec d’autres grandes écoles.

2. Actions en relation avec les lycées et les 1ers cycles universitaires
Chacune des ENS est insérée dans un tissu universitaire local, lié à sa politique de site, qui propose une formation universitaire de premier cycle spécifique. Dans ce cadre, les actions de chacune des ENS au sein de son propre écosystème, déclinées dans les parties suivantes, permettront d’augmenter le nombre des étudiants issus de milieux défavorisés capables de suivre avec succès ces premiers cycles et de candidater dans les concours de recrutement de normaliens par les voies étudiantes/universitaires, en amplifiant une démarche qui a déjà permis une certaine diversification sociale des recrutements. Du côté des classes préparatoires, les collaborations avec ces classes, notamment celles qui accueillent des boursiers en nombre significatifs, peuvent être envisagées notamment sous forme de mentorat ou tutorat.

3. Actions sur les concours d’entrée
En ce qui concerne les concours d’entrée à l’issue des CPGE, clef de voûte du dispositif de sélection menant aux ENS, plusieurs actions sont envisagées, concernant notamment l’évolution de certains programmes, la mise en ligne des sujets soumis au concours pour combler le déficit d’information sur les épreuves entre les différentes classes préparatoires. L’action la plus audacieuse serait d’attribuer des points de bonification pour des étudiants issus de milieux défavorisés lors de la phase d’admissibilité du concours d’entrée. Ces points permettraient de donner à des candidats issus de milieux défavorisés une chance de se présenter devant le jury d’admission. Le nombre de points pourrait être basé par exemple sur le statut de boursier de l’enseignement supérieur, ce qui permettrait de le moduler en attribuant un nombre de points plus élevé pour les niveaux de bourses plus élevés. Le jury d’admission, souverain, n’aurait pas connaissance de quels candidats auraient bénéficié de ces points de boursiers.
Les boursiers reçus au concours seraient donc sélectionnés sur les mêmes critères et avec les mêmes exigences que l’ensemble des autres reçus. La mise en œuvre d’un tel dispositif ne pourra produire pleinement ses effets que si les classes préparatoires elles-mêmes s’inscrivent dans une telle démarche, en faisant une place plus grande aux étudiants boursiers, et en les accompagnant. Une procédure analogue pourrait entrer en jeu lors de l’examen des dossiers des candidats au statut de normalien étudiant.


Structuration et moyens

Pour mettre en œuvre le suivi de ces actions, il convient tout d’abord de souligner qu’il sera nécessaire de se doter d’outils statistiques appropriés. La catégorie « boursier » est une catégorie qui ne recouvre que mal les milieux défavorisés (le croisement des CSP des parents avec le niveau de bourse fournit un meilleur indicateur) et il faut bien garder en tête qu’il y a des niveaux de boursiers très différents. Les effets de l’ensemble de ces démarches ne se feront sentir qu’après plusieurs années. Il est difficile de connaître leur impact à l’avance et il faudra construire des dispositifs d’évaluation. Un horizon raisonnable pour juger de l’efficacité serait un horizon de 6 ans, et chacune des écoles énonce ses objectifs dans son rapport. Un suivi annuel devra être mis en place.

Des moyens seront évidemment nécessaires pour porter cette politique volontariste.

Une première question essentielle se pose. On ne peut pas réussir à engager des élèves issus de milieux défavorisés dans des études extrêmement difficiles et très longues (compte tenu du fait que 80% des normaliens poursuivent en thèse, qui fait partie intégrale de leur formation par la recherche, la durée d’études à partir de l’entrée à l’École et jusqu’au doctorat est typiquement de 7 ans) sans leur assurer un soutien financier tout au long de ce parcours. Pour ce qui est des études dans les ENS, il est indispensable de pouvoir leur offrir un financement de type « PhD Track » (c’est-à-dire pendant leur scolarité de normaliens et pendant leur thèse) à un niveau qui permette à tous les normaliens de s’y consacrer à temps plein. De même, un financement adéquat des boursiers est indispensable en amont, dans les formations de premiers cycles ou de classes préparatoires. A l’heure où le système de recherche en France est peu attractif au plan international, le dispositif des ENS, permettant une formation au plus haut niveau avec un soutien clair sur une durée de sept ans, est aussi un facteur majeur d’attractivité pour amener des jeunes brillants vers des carrières de recherche. Dans cette perspective, un soutien financier à l’ensemble des normaliens est hautement souhaitable.

Du point de vue de la structuration des actions en amont, il est indispensable de mettre en place des cellules d’accompagnement de ces actions, ainsi que de former les normaliens qui seront appelés à interagir avec les étudiants de lycée ou de premier cycle universitaire, que ce soit pour des actions de tutorat, de mentorat, ou de sensibilisation-détection-accompagnement. Il s’agira donc de construire un ensemble cohérent d’actions auxquelles tous les normaliens seront appelés à participer, avec prise en compte dans leurs diplômes, et mise en place d’une structure adaptée.
Thématique(s)
Admission, Développement durable, Vie de l'École

Mise à jour le 16 octobre 2019