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JNDD 2015 : Paroles d'élèves - Augustin Rogeaux

2SEP - promotion 2014

J’ai décidé de participer à ces « paroles d’élèves » aux JNDD de l’ENS Rennes pour parler du projet de solidarité internationale en lien avec le sport que j’ai réalisé en juillet 2014, ainsi que pour témoigner de mon engagement et de ma sensibilité pour le développement durable (DD). Je voulais aussi insister sur les nombreuses perspectives qu’offre l’ENS pour œuvrer concrètement pour le DD.

1)  Le projet Mad’en Action

J’ai réalisé en juillet 2014 un projet de solidarité international à Madagascar, original car il utilise le sport comme outil de développement. Ce fut la deuxième édition du projet, organisée par l’association rennaise Amahoro fondée au sein du STAPS de Rennes 2.

Madagascar est un des pays les plus pauvres de la planète où 93% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. On y voit des inégalités énormes, où les plus riches vivant à « l’occidentale » côtoient des gens qui vivent dans une misère criante. Malgré une biodiversité unique qui a fait la réputation de l’île, le pays est également le siège d’une catastrophe écologique.

Notre projet s’est déroulé dans le village d’Ankerana, à une cinquantaine de kilomètres au Nord de la capitale (Antananarivo). Il s’agit d’une région riche d’un point de vue agricole (de nombreuses cultures en terrasses qui assurent une alimentation suffisante et variée aux habitants) mais le mode de vie des habitants est très rustique : ils ont l’eau (une chance exceptionnelle) mais pas l’électricité, disposent de très peu de biens matériels, et habitent dans des maisons en brique – indispensable au vu des hivers rudes (autour de 0°C la nuit). L’hygiène est également rudimentaire, malgré la présence d’un centre de soins primaires à 1 heure de marche.

Le besoin de pratiquer du sport a été exprimé par les habitants. Les adolescents scolarisés ainsi que les hommes disposent d’un peu de temps libre et souhaitaient l’utiliser pour pratiquer des activités sportives. Mais leur absence de ressources économiques, leurs difficultés pour se déplacer et se procurer du matériel sportif, sont autant de barrières face à leur volonté de faire du sport.

La première édition fut donc en charge de construire des infrastructures sportives (terrain de football & terrain de basketball/volleyball) et d’apporter du matériel sportif.

Dans la continuité, nous avons participé à la formation d’entraineurs sportifs au sein du village lors de la seconde édition afin de leur permettre une pratique autonome plus approfondie, pour qu’ils se perfectionnent et s’entrainent régulièrement. Cela nous a permis de mettre à profit nos compétences d’étudiants en STAPS, tout en leur apportant des billes pour qu’ils pratiquent de manière durable une fois notre départ. Nous leur avons également suggéré de mettre en place un système de cotisations, afin qu’ils puissent en toute indépendance racheter du matériel ou payer les entraineurs, ce qui crée un cadre propice pour une pratique continue dans le temps et pérenne.

En parallèle, nous avons également contribué à financer les travaux de réhabilitation de l’école primaire afin de doubler la capacité d’accueil. Nous avons volontairement choisi de laisser les habitants travailler, et de les laisser acheter les matériaux nécessaires : cela leur permet d’être acteur des travaux et de les responsabiliser.

Enfin, la troisième édition du projet portera sur la construction, en partenariat avec l’association « les Enfants Avant Tout », d’une salle communale servant de bibliothèque et de salle de réception : cela dans le but de pouvoir la louer et générer des revenus, leur permettant de subvenir de façon autonome à leurs besoins, concernant l’école ou les infrastructures sportives. Un travail sera également fait pour approfondir et finaliser le travail des entraineurs, et l’organisation du sport dans le village.

Ce projet s’inscrit donc dans un développement qui se veut durable : nous sommes plus dans une démarche de partenariat sur le long terme, que dans une simple aide descendante. L’objectif est de sortir de ce type de schéma de développement qui ne fonctionne pas, pour installer un système d’échange et de coopération horizontal, où chacun apprend de l’autre.

Les décisions furent prises en concertation systématique avec les habitants afin d’être certain que les actions menées correspondent à leurs besoins réels. Nous avons mis en place un système sportif qui se veut durable (cahier pour référencer le matériel, mise en place d’entrainements réguliers, système de cotisation) afin que celui-ci puisse perdurer après la troisième et dernière édition du projet. De même, les travaux de l’école ont été réalisés de manière à responsabiliser les habitants au maximum, tout en leur apportant les financements dont ils ne disposent pas. Dévier de notre objet principal (le sport) était une évidence, car l’éducation reste la priorité de développement pour ces habitants en zone rurale.

Bien qu’il soit impossible de changer la réalité quotidienne des habitants de ce pays rongé par la pauvreté, c’est déjà un premier pas que d’aider au développement d’un village : cela a un impact concret sur plusieurs centaines de personnes. De plus, ce développement s’est fait d’une manière horizontale, sous la forme d’un échange, afin de rompre avec une conception d’assistanat de la solidarité internationale, ce qui permet d’installer une relation de confiance et d’efforts réciproques. L’originalité du sport comme outil de développement permet également l’atteinte d’autres objectifs. Ce fut également sur le plan personnel un voyage d’une très grande richesse (rencontres, vie sur place, …).

Le deuxième point positif de ce voyage fut également d’apporter une ouverture d’esprit sur une autre culture et un autre pays, et contribue à s’ouvrir sur le monde. Cela permet de relativiser sur le confort moderne dont nous disposons : malgré l’absence de téléphone portable, d’internet, et d’électricité, nous n’avons jamais ressenti d’angoisse ou de manque. Nous avons pris conscience qu’un mode de vie simple n’empêche pas le bien-être et permet de mieux apprécier les choses.

La découverte du pays permet également de prendre conscience de l’importance du développement durable : de nombreux éléments invitent à la réflexion. Tout d’abord, au sein du village ou nous étions, le fait de ne pas avoir le choix oblige à fonctionner d’une manière durable : cela s’impose lorsque les ressources sont limitées. A l’échelle planétaire, on devrait s’interroger sur le luxe que représente le mode de production linéaire dans lequel nous sommes engagés.  Paradoxalement, la protection de l’environnement n’apparaît pourtant pas, dans ce pays en développement, comme une priorité : lorsque l’on s’organise pour vivre tant bien que mal, on a d’autres priorités. C’est surtout choquant dans les villes où des déchets s’accumulent n’importe où ; le parc automobile et industriel, récupéré des pays occidentaux, est extrêmement polluant. Les problématiques environnementales ne touchent personne, dans ce pays rongé par la corruption, où les pouvoirs publics sont souvent complices de ce développement sauvage, comme c’est le cas avec les coupes illégales du bois de rose. La grande ile est également ravagée par la déforestation (80% de la forêt a disparu en 1 siècle), notamment à cause des feux de brousse : pour faire vivre leurs troupeaux quelques années, les éleveurs n’hésitent pas à incendier la forêt. L’avenir du pays semble bien sombre, entre inégalités qui explosent, déforestation, accaparement des terres, … Le développement anarchique du pays doit nous interpeller sur la capacité à généraliser notre mode de vie occidental à l’ensemble du globe : Madagascar est un triste exemple des ravages que cela peut provoquer.

Il faut noter l’exception des parcs naturels, surprotégés : cette aseptisation extrême de la nature est nécessaire pour en assurer sa protection. Ces zones risquent d’être les dernières réserves de biodiversité de l’ile dans quelques décennies si rien ne change. Voulons-nous d’une nature en cage, artificialisée, règlementée ?

Ces exemples amènent à s’interroger sur le futur que nous voulons. En espérant que le triste sort de ce pays aux multiples facettes s’améliore…

2)      Ma conception du Développement Durable

Le terme de DD est à la mode : je considère qu’il ne devrait même pas exister, un système sociétal non durable étant de fait une aberration. Force est de constater que nous sommes pourtant dans un système qui est loin d’être durable.

Malgré les innombrables connaissances scientifiques dont nous disposons, les progrès technologiques réalisés, et surtout l’accès généralisé à une manne d’informations gigantesque (principalement avec internet), je fais toujours le même constat : nous savons que nous courons à notre perte, nous savons qu’il existe des solutions, mais rien ne change ! Nous continuons à fonctionner dans une perspective à court-terme, en pensant les choses de manière isolée et réductrice ; il faudrait au contraire concevoir un système viable sur le long terme, dans une pensée globalisante !

Nous assistons aujourd’hui à une crise écologique et sociale. Je ne développerai pas le constat alarmiste de l’état de notre environnement : rappelons juste que nous vivons à crédit, en consommant 1.5 planète par an, et qu’il faudrait 2.5 planètes pour généraliser le mode de vie européen à l’ensemble de la planète. Parallèlement, les inégalités ne cessent de croître à toutes les échelles, la pauvreté ou la faim ne sont toujours pas éradiqués, alors que certaines populations vivent dans l’abondance. 

Selon moi, les problèmes écologiques et sociaux sont liés : ils sont la conséquence d’un système qui ne fonctionne pas, à bout de souffle. Malgré tout, nous avons encore du mal à prendre conscience de l’importance de ces enjeux : nous ne nous sentons pas concernés, car nous ne sommes pas impliqués directement dans ces problématiques pourtant essentielles. Or notre système est tout, sauf durable : notre mode de vie a des conséquences très lourdes sur l’environnement, ainsi que sur certains pays du monde, et certaines populations. Un exemple : celui de la consommation de viande. L’empreinte écologique est énorme et pourtant, sa consommation est appelée à doubler car les pays émergents veulent adopter notre mode de vie, y compris le luxe de consommer de la viande 2 fois par jour.

Mais est-ce souhaitable et soutenable ? Pour le permettre a lieu la déforestation de l’Amazonie, pour y planter du soja OGM qui nourrit le bétail ; on peut également ajouter une consommation énorme d’eau et d’énergie, ainsi que la pollution générée par les exploitations agricoles aux proportions industrielles…

Comme le dit Michael Sangel, aujourd’hui tout s’achète : tout est réduit à une simple valeur monétaire, et on en oublie le reste. Comme par exemple les taxes sur la pollution, les compensations carbones et autres mécanismes financiers censés compenser la dégradation causée à l’environnement : comme si l’argent pouvait dépolluer ! C’est très dangereux de réduire ces problèmes à une simple valeur monétaire : certaines dégradations sont irréversibles. L’activité humaine depuis 150 ans est en train de bouleverser des équilibres millénaires : on est rentré dans l’anthropocène, c’est-à-dire une ère géologique définie par l’action omnisciente de l’Homme sur le devenir de la planète !

L’analyse d’Edgar Morin concernant le drame au barrage de Sivens est révélatrice de la question de civilisation profonde qui se pose actuellement : faut-il se laisser aveugler par des enjeux économiques à court terme au détriment de l’environnement ? Il pointe l’impasse paradigmatique dans laquelle nous sommes, et dans laquelle les problèmes environnementaux et sociaux ne pourront être résolus. Les Zones à Défendre (ZAD) sont emblématiques de ce conflit entre enjeux économiques et environnementaux, et illustres les limites d’un système de plus en plus complexe, aveugle, bureaucratique et déconnecté de la réalité.

Malgré ce constat très grave et pessimiste, il ne faut pas être cynique et penser qu’on ne changera rien. Nos actions ont un impact globalisé : par nos choix de vie et de consommation, on choisit le monde dans lequel on veut vivre. Des solutions existent et elles sont nombreuses : économie sociale, solidaire, commerce équitable, circuits courts, … sont autant de solutions.

Bien sûr que des changements politiques sont nécessaires : mais c’est également au citoyen d’être prêt à changer ses habitudes pour accepter une société plus respectueuse et durable, ce qui nécessite une prise de conscience et un changement de nombreuses habitudes.

Qu’on le veuille ou non, le DD est l’enjeu majeur du 21e siècle : au vu des prévisions démographiques et climatiques, il va falloir apprendre à vivre sur notre planète en adoptant un mode de vie nécessairement plus durable.

3)      Que faire en tant que normalien ?

En tant que futur fonctionnaire, qui par définition est animé par la volonté de servir l’intérêt commun de la nation, œuvrer pour le DD me semble une évidence. Vous allez tous – ou presque – devenir enseignants, chercheurs, ou haut-fonctionnaire, et vous aurez tous à votre disposition un levier pour agir concrètement en faveur du DD.

En tant qu’enseignants, vous serez devant des élèves : quelle que soit la matière, vous aurez tous l’occasion de les sensibiliser à l’importance qu’il faudrait accorder à construire un système durable. Par exemple, en tant qu’élève de 2SEP, je pourrais sensibiliser les élèves sur l’empreinte écologique et sociale du sport, et notamment des grands évènements sportifs, qui sont bien souvent des désastres environnementaux et sociaux : par exemple les JO de Sotchi ou la coupe du Monde de football au Brésil ont été entachés de nombreux scandales. A quel prix organiser des compétitions sportives ? Cela peut être l’occasion de débats avec les élèves.

En tant que chercheur, vous avez la possibilité d’étudier, de chercher pour trouver des alternatives, des nouveaux paradigmes, des nouveaux outils qui peuvent contribuer à une société plus durable. Par exemple l’imprimante 3D, utilisée au département Mécatronique, est la révolution industrielle du 21e siècle et devrait bouleverser de nombreux domaines comme la production industrielle ou le bâtiment… Pour reprendre Edgar Morin, un décloisonnement des champs scientifiques semble indispensable afin d’envisager les problèmes dans leur globalité.

En tant qu’haut-fonctionnaire, on a le privilège d’être au cœur des rouages de l’Etat, et ainsi agir concrètement au plus haut niveau. Ce milieu est sans doute très cadenassé, mais le meilleur moyen de changer les choses reste d’être inséré à l’intérieur même du système…

Par exemple, je m’interroge sur le concours du corps des Ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts (IPEF), qui permet de travailler pour l’Etat en tant que haut-fonctionnaire dans des domaines tels que l’agriculture, l’énergie, les transports, le climat, l’environnement, … Bien que ce concours soit loin de mes compétences acquises en STAPS, et que ce type de carrière soit très éloigné de mon idéal de vie original, au vu de ma sensibilité pour le DD, ce serait l’occasion de contribuer à œuvrer pour cet enjeu majeur. Ce corps de la haute fonction publique semble être un moyen privilégié pour intégrer les organes d’action et de décision des politiques publiques dans ces domaines : c’est une opportunité pour contribuer réellement au DD. Ma réflexion n’est pas encore arrêtée. Mais si vous êtes sensibles au DD et motivé par l’action publique, je pense que ce concours vaut le coup !

Vous êtes sans doute nombreux à penser que les JNDD sont inutiles et représentent une perte de temps. C’est une occasion de s’ouvrir l’esprit sur quelque chose qui ne vous interpelle peut-être pas, et qui est pourtant un enjeu majeur pour chacun d’entre nous ! J’espère que vous profiterez de ces journées pour découvrir le DD et l’importance de ses enjeux.


Thématique(s)
Vie de l'École

Mise à jour le 15 décembre 2016